LA SOUVERAINETÉ NATIONALE ET LES TRAITÉS INTERNATIONAUX AU FIL DE L’HISTOIRE LUXEMBOURGEOISE (1815-1956) Pierre PESCATORE Lorsqu’en 1956, la Chambre constituante luxembourgeoise a introduit une nouvelle disposition dans la loi fondamentale, afin de permettre la dévolution, à des institutions internationales, d’attributions réservées aux pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, elle a entendu régler un problème de haute actualité: il s’agissait de faciliter la participation du pays au mouvement de l’intégration européenne. La création des organismes européens entraînait en effet l’attribution d’importants pouvoirs aux institutions communes et elle impliquait une restriction correspondante, apportée aux pouvoirs nationaux. On pensait alors répondre aux nécessités de l’heure; or, en réalité, peut- être sans en avoir pleinement conscience, la Chambre a placé par sa décision le point final d’une longue évolution que l’on peut poursuivre à travers l’histoire luxembourgeoise depuis les débuts de l’autonomie nationale. C’est ce cheminement que nous voulons reprendre dans la présente étude. En effet, le Grand-Duché de Luxembourg s’était déjà trouvé engagé dès le 19e siècle, par l’effet de divers traités internationaux, dans des structures politiques et économiques qui entraînaient des limitations sensibles au plein exercice de ses droits souverains. Certains problèmes constitutionnels, que l’on considère comme caractéristiques de notre époque et qui sont d’ailleurs essentiellement contemporains pour les partenaires du Grand-Duché, correspondent, pour ce dernier, à une expérience historique déjà ancienne.
Le fait est que le Grand-Duché n’a jamais pu pratiquer la souveraineté au sens d’une indépendance absolue: bien loin de là, les besoins vitaux de son existence l’ont amené à accepter, et parfois même, à rechercher des liens particuliers avec ses voisins. Or, la création de ces liens a suscité itérativement, au cours du 19e et au début du 20" siècle, des problèmes analogues à ceux qui ont été envisagés par les constituants de 1956: la question de la compatibilité de certaines obligations internationales avec la souveraineté nationale; l’application sur le territoire national d’un droit découlant de sources étrangères à la constitution; l’interférence, enfin, entre ces règles étrangères et l’ordre juridique national. Concrètement, ces problèmes ont surgi de quelques situations bien déterminées qui sont, dans l’ordre chronologique: — le rattachement du Grand-Duché à la confédération germanique, de 1815 à 1866; — l’appartenance à l’association de douanes et de commerce allemande (le Zollverein ) et l’union douanière avec le Reich, de 1842 à 1918; — l’exploitation des chemins de fer luxembourgeois par le Reich allemand, à la suite de la guerre franco-prussienne, de 1872 à 1918; enfin, — l’union économique belgo-luxembourgeoise instituée par la convention du 25 juillet 1921. Nous passerons en revue ci-après ces différentes combinaisons. Mais notre propos n’est pas d’en refaire l’histoire générale; il s’agira, plus modestement, d’écrire un chapitre d’histoire juridique. En d’autres termes, nous nous limiterons à faire ressortir les seuls aspects qui ont une importance pour l’évolution constitutionnelle et légale du pays: nous devons cet avertissement aux lecteurs de cette revue, habitués à des perspectives historiques plus étendues.